vendredi 11 juin 2021

Ce qui préoccupe les conchyliculteurs normands

 Rappel Historique

L’activité de récolte des huîtres sur nos côtes normandes existe depuis des temps immémoriaux. Les débuts de l’ostréiculture normande sous forme de reparcage sont attestés au XVIIIe siècle. L’ostréiculture moderne initiée dans la seconde moitié du XIXe sur la côte Est de la Manche prend son essor fin des années 60 sur l’ensemble de nos côtes tandis qu’à la même époque s’accroit le développement de la mytiliculture initiée dans les années 50.

Depuis la fin des années 80, s’appuyant sur les constations scientifiques estimant que la capacité trophique du milieu ne pouvait supporter une augmentation des zones d’élevage, les conchyliculteurs normands ont cessé la création de nouvelles concessions sans abandon de surfaces équivalentes.

Fin des années 90, le nombre de pieux à moules en exploitation a été diminué. Depuis les années 2000, les professionnels se sont imposés des règles afin de diminuer les densités exploitées (nombre de poches par ha, taux réduit d’ensemencement des moules) afin de préserver le milieu nourricier.

Hormis la période d’épizootie de 2008, nos volumes de production sont globalement stables aux aléas de la nature prés.


Économie

Les startups conchylicoles des années 1970 ont fait florès et en l’espace d’une vingtaine d’années la Normandie s’est hissée au premier rang des producteurs de coquillages français.

Fin des années 60, des territoires entiers de la Manche étaient en voie de désertification. L’activité conchylicole providentielle a permis de fixer des populations entraînant un développement économique considérable.

Tout un tissu socio-économique s’est développé favorisant villes et villages, écoles et services, secteur privé et secteur public, etc. 

Aujourd’hui, les 300 concessionnaires de la Manche produisent annuellement 40.000t de coquillages, pour un chiffre d’affaires de 200 millions €. Rien que dans ce département, la profession, c’est 2.500 emplois directs et bien plus d’emplois indirects ou induits.


Environnement

Depuis des décennies, nos professions s’inquiètent de l’état de l’environnement et s’alarment de la dégradation inexorable de la qualité de l’eau. Nous sommes en perpétuel questionnement sur les sujets environnementaux. Nous organisons depuis des années des campagnes de nettoyage de l’estran afin de sensibiliser les citoyens en donnant le bon exemple. Nous sommes en perpétuelle recherche de matières plus écologiques et/ou recyclées pour nos installations. Des recherches sont également en cours afin d’apporter des solutions au traitement des coproduits.

Nos coquillages et par conséquent nos entreprises sont les premières victimes des dégradations de toute sorte du milieu marin. Nous sommes littéralement en "bout de chaîne" et tributaires de tout ce qui est déversé dans les fleuves et rivières. Nous sommes à la merci non seulement des tempêtes qui peuvent être dévastatrices mais aussi des fortunes de mer potentiellement catastrophiques avec leur lot de marées noires en tout genre.

Faut-il rappeler qu’il faut 4 ans pour produire une huître et que ce labeur (non assurable) peut disparaître en quelques heures.

Le bilan carbone de la conchyliculture est excellent. Non seulement, nos coquillages pompent du carbone pour fabriquer leurs coquilles, mais ils absorbent également du phosphore et de l’azote. Ils ont un effet positif sur les gaz à effet de serre et limitent l’eutrophisation. Leur exploitation est donc plus que favorable à l’environnement.


Assainissement

Depuis plusieurs années nos coquillages subissent régulièrement des pollutions d’origine humaine. Pratiquement à chaque épisode pluvieux au moins une station d’épuration déborde ou effectue des lâchers, nous obligeant à nous adapter et à purifier nos produits.

La situation est tellement dégradée que des zones de production doivent être fermées temporairement nous interdisant la vente de nos coquillages. Les préjudices commerciaux en termes de chiffre d’affaires et d’image auprès du consommateur sont énormes.

L’État et les collectivités nous doivent une eau propre.

Au vu de ce que nous subissons, preuve est faite que l’assainissement n’est toujours pas satisfaisant. Nous mettons sérieusement en doute la qualité et le dimensionnement des  infrastructures qui par endroit n’ont guère évolué alors que sont octroyés toujours plus de permis de construire et que la pression démographique sur nos côtes et en amont augmente.


Trait de côte

Il va de soi que nos activités ne peuvent s’effectuer  qu’à proximité de la mer. On n’imagine pas des centaines de tracteurs traversant les terres aux mêmes heures de marée nuit et jour pour descendre sur nos parcs sans compter les milliers de m³ d’eau de mer à acheminer pour alimenter nos bassins.

Sous prétexte que la mer envahirait nos établissements dans 5, 10, ou 20 ans, certains prônent le laisser faire et l’inaction  sous couvert d’écologie. On nous dit que l’enrochement ou toute autre technique ne ferait que ralentir les choses. Mais c’est bien ce que nous demandons ! Si nous gagnons ne serait-ce que 10 ans face à l’inéluctable, l’investissement en vaut la peine et cela nous donnera le temps de trouver de vraies solutions!

Comment peut-on nous dire sérieusement qu’il est plus écologique d’employer des norias d’engins diesels qui tous les ans rechargent les dunes en sable plutôt que de protéger la côte avec de la roche. En quoi les rochers seraient-ils polluants ?

Partout en France et notamment au-dessous de la Loire, les installations professionnelles ainsi que les habitations ont été protégées. Nous serions la seule région à rester les deux pieds dans le même sabot !

Il parait évident que le coût économique de relocaliser les entreprises, de creuser des canalisations d’eau de mer au cœur des terres et d’encombrer les routes avec des tracteurs est bien plus important que d’installer une défense qui profitera à tous, professionnels de la mer, professionnels du tourisme et habitants.


Coproduits

Les moules sont naturellement collectées en mer lors de leur reproduction puis disposées sur les bouchots pour être élevées jusqu’à la récolte. Tout comme les pêcheurs, depuis toujours les mytiliculteurs remettent en mer les coquillages qui n’atteignent pas la taille minimale requise.

Ces petites moules font le régale de la faune marine. Ces dépôts permettent à la fois de tenir à l’écart des concessions les prédateurs et contribuent à l’engraissement de l’estran et luttent contre l’érosion du littoral.

Il y a quelques temps il a été demandé à la profession de broyer ces coproduits. Outre le fait que nous avons ainsi perdu les bénéfices qu’apportaient les dépôts de petites moules, on nous fait remarquer que dorénavant ce que nous rejetons sont des déchets (puisque broyés) et qu’à terme nous n’aurions plus l’autorisation de le faire.

Or la seule solution pour évacuer nos coproduits consisterait à les charger dans des camions qui les amèneraient à un centre d’enfouissement en Bretagne. Il faudrait donc mettre sur les routes une flotte de camions six jours sur sept pour acheminer des coquillages pour les enterrer… En quoi est-ce plus vertueux que de relâcher des produits naturels en mer ?


Conchy-Bashing

Comme tous les métiers de production, les conchyliculteurs sont soumis à de plus en plus de contraintes administratives, sanitaires et autres. C’est tout à fait normal et les professionnels ont concouru à l’élaboration du cadre législatif qui les régit. 

Cette pression n’en est pas moins forte et exacerbe les difficultés individuelles de chacun.

Depuis quelques temps nous sentons monter une sorte de ressentiment, un "conchy-bashing", d’une certaine frange de la population menée par des associations plus ou moins sectaires à l’encontre de nos professions.

Plutôt que de considérer les sentinelles de l’environnement que nous sommes par nature, ils s’acharnent à nous stigmatiser tous azimuts. Nous sommes de plus en plus confrontés à ces shérifs autoproclamés, par ailleurs en grande partie retraités, en grande partie également fraichement établis sur nos côtes, et qui donnent le sentiment de vouloir nous repousser aux confins, loin de (leurs) yeux et de leur vue sur mer.

Tous les prétextes sont bons pour nous montrer du doigt. La loi nous impose d’entretenir nos concessions, mais si nous le faisons on nous attaque. Par contre, quand cela arrange ces pseudo-défenseurs de l’environnement, il n’est pas interdit de recharger  en sable les digues de leur station balnéaire.

Ajouté aux difficultés quotidiennes de chefs d’entreprise, cette atmosphère délétère pourrait aisément échauffer les esprits et dégénérer. Les gens de mer n’ont pas la réputation de se laisser faire sans réagir, qui plus est quand ils sont dans leur bon droit.

Les conchyliculteurs normands ont toujours favorisé la bonne entente sur le domaine public maritime pour éviter tout conflit d’usage. Par exemple, les touristes pêcheurs à pieds peuvent librement traverser nos concessions.

On peut toujours s’améliorer et nous y travaillons, mais il est intolérable de recevoir cet anathème de la part de personnes qui n’ont même pas l’honnêteté de considérer les efforts déjà entrepris ainsi que les travaux en cours.